« Un projet artistique ce n’est pas une autobiographie permanente. »
Qui est La Pietà ? Quelqu’un comme vous, comme moi ? La moyenne, au motif que chacun se retrouve à un moment donné dans les paroles de ses chansons ? Mon oeil ! Sa musique n’était pas à priori dans la zone de confort de notre fanzine, mais qu’importe : cette lumière inhabituelle était irrésistible, il fallait qu’on la voie de plus près. Voici une interview de La Pietà.
Bonjour La Pietà. C'est Courtney Love qui vous a donné l'envie de faire de la musique ?
La Pietà : Entre autres, oui. J’écrivais depuis gamine. Mon frère a commencé a écouter du Rock, et s’est acheté une guitare. il écoutait notamment Nirvana. Le décès de Cobain en 1994 m’a fait un choc, j’étais gamine, mais j’ai voulu comprendre pourquoi les cris de ce mec me touchaient autant. Et je me suis mise à avoir envie de faire, moi aussi, des cris. Mais je ne me sentais pas légitime. Je chantais mal, j’étais une fille, j’étais grosse et moche. Une Courtney love, avec ses discours battants, m’a donné la force de le faire. Elle m’a donné envie de prendre une guitare, et de faire de ma douleur quelque chose.
Votre mère était prof de lettres et vous avez lu dès l'enfance. Quels émois littéraires vous ont donné le goût de l'écriture ?
La Pietà : C’est vrai, mes deux parents lisaient beaucoup, mais ça m’a plutôt dégoûtée de la littérature à une époque, parce que, comme tous les enfants, j’avais besoin de me rebeller et de me sentir en opposition avec ce qu’on m’avait proposé toute mon enfance. Je me suis remise à lire plutôt adulte, du coup. J’ai adoré Françoise Sagan. Avant de s’appeler La Pietà, ce projet s’est appelé « Bonjour Tristesse » pendant quelques mois. J’aime beaucoup Virginie Despentes, Bukowski, Olivier Adam...
La Pietà : Oui, c’est important de mettre une distance. Non, La Pietà ce n’est pas moi. C’est une partie de moi. C’est un projet artistique. Ce n’est pas une personne, c’est une de mes facettes, mais c’est loin d’être toute ma personnalité. C’est malsain de confondre les artistes et leurs projets, de confondre l’humain et l’artistique, de confondre une image et une personne, des mots et un cœur. Je ne mens pas dans ce que je fais, je suis sincère, toujours, mais un projet artistique ce n’est pas une autobiographie permanente. J’ai envie et le droit de faire mourir La Pietà si j’ai envie de passer à autre chose. J’ai envie et le droit d’exprimer d’autres choses dans ma vie que ce projet là, ou de le faire évoluer. Je suis La Pietà, mais La Pietà n’est pas moi. C’est aussi pour cela que j’ai commencé tout ce projet de manière complètement anonyme, sans que l’on voit mon visage. Je ne voulais pas qu’on confonde le narrateur et l’auteur.
La Pietà : Il n’y a pas « MON » public. Il y a des gens. Je n’ai jamais aimé les généralités, je ne vais pas commencer ici. Il y a tout un tas de gens différents. Tout simplement. La plupart des gens qui écoutent ou aiment La Pietà à un moment donné ont pu être touché par mes mots, souvent parce qu’ils ont eu l’impression que ces mots leur ressemblaient, parce que ça exprimait aussi une partie d’eux, une souffrance vécue à un moment donné, une envie d’y survivre pourtant, le mal être parfois, la sensibilité souvent. Ce qui est sûr, c’est que la plupart de ces gens sont profondément humains, touchés, touchants, engagés dans leur vie de tous les jours pour faire de ce monde un bel endroit, des gens qui se battent au quotidien, des profs, des infirmiers, des artistes, des humanistes, des artisans, des gens qui pleurent, des gens qui rient, des gens qui aiment.
“Être artiste, c'est interroger le monde."
“La hargne” est-elle un élément constitutif de La Pietà, ou rien n'est fixé ?
La Pietà : La hargne, la rage, la colère, font partie de ce projet, comme elles font partie de la vie. Comme la violence, mais aussi comme l’amour, la tendresse, l’envie.
Pour éviter que La Pietà ne devienne votre cage, vous avez choisi récemment de tomber les masques, que vous portiez y compris lors des interviews. La liberté passe-t-elle par une remise en question permanente ?
La Pietà : Oui, parce que peut être que les prisons que l’on rencontre, souvent, on se les fabrique soi-même. On a la chance d’avoir un libre arbitre et une certaine liberté, autant en jouir. Il faut comprendre qu’il y a un vrai paradoxe qui rend les musiciens schizophrènes : être artiste, c’est interroger le monde, s’interroger soi-même, questionner, déranger, changer, faire violence. Et pourtant, faire de la musique, à l’heure actuelle, c’est aussi un métier, dans une « industrie du disque » où, pour vendre, il faut au contraire calibrer, divertir, aller dans le consensus, créer une « marque », choisir sa cible, se vendre. Alors que fait-on ? J’ai choisi d’être libre avec ce projet, parce que, quand j’ai commencé à le faire, je n’envisageais pas de réussir quoi que ce soit avec, et sûrement pas d’en vivre ! Pourtant, ça a plu, et j’ai commencé à en vivre... Mais je ne veux pas pour autant oublier d’où vient La Pietà. Donc oui, je questionnerai en permanence ce projet, et j’essaierai de continuer à m’autoriser à aller là où je veux, là où il me semble intéressant de dire ou faire quelque chose, avec un objectif artistique, et non de rentabilité. Je n’avais pas envie de tourner en rond dans une case que je me serais créée. La Pietà ne sera jamais là où on l’attend, ce serait trop facile.
"Les mots avant tout."
La Pietà : C’est plutôt une manière de mettre en image l’identité de ce projet, les mots avant tout. Les masques avaient pour but de démystifier l’apparence, l’image dans la musique, une manière de dire : “Ecoutez ce que je dis, avant de regarder si je suis bonne ou pas !” Une espèce de pied de nez à notre époque hyper-conceptualisée autour de l’image, du corps, de la perfection, de la réussite. J’ai retiré les masques pour ne pas m’enfermer au contraire dans ce concept-là. J’ai continué à foutre des mots sur ma peau, comme j’en mets sur des dessins depuis toujours. Mais peut-être que ça non plus, ça ne durera pas...
La Pietà : Oui, c’était un beau projet, que je voulais participatif. C’était bien de faire ça avec des fans, des amis, et même l’homme qui partageait ma vie à l’époque. Ça restera gravé. J’aime que ces gens soient une partie de La Pietà aussi.
La Pietà : Je ne sais pas. L’expérience m’a plutôt montrée qu’il vaut mieux garder une distance avec les artistes qu’on aime. Pas besoin de les rencontrer pour les écouter et les aimer. Ça revient à la réponse plus haut sur la différence entre une personne et ce qu’elle fait. On peut adorer ses œuvres et ne pas aimer la personne. C’est d’ailleurs souvent le cas. Alors, évidemment, j’aurais aimé partager une scène avec un Cobain, un Cantat, un Ferré, un Brel, une PJ Harvey, et bien d’autres...
La Pietà : En fait, c’est le journal de La Pietà. C’est le livre que j’ai commencé il y a quatre ans et que j’ai eu envie de mettre en musique. C’est ainsi qu’est né le projet. Du coup, chaque texte de La Pietà est tiré de ce livre. C’est un mélange de journal autobiographique et romancé, de chroniques sur la vie en général ; notre monde, mon monde, le monde de la musique tel que je l’ai vécu depuis vingt ans maintenant, de mon enfance chaotique à mon rêve de Rockstar, de ma signature en major à ma descente aux enfers, de la drogue à la scène, l’amour, la dépression, et le combat continuel pour se dire que « du chaos naissent les étoiles »… Voilà ce que j’ai voulu faire avec La Pietà. Créer de la lumière à partir de ma nuit noire.
La Pietà par Brice Bourgois
"Mon seul et unique critère :
Faire tout cela dans le plaisir."
La Pietà : Je n’ai pas envie d’un public en particulier. J’ai envie de toucher des gens. De leur apporter un sourire, une larme, un truc qui fait se sentir vivant, comme d’autres artistes l’ont fait pour moi. Je suis heureuse de tous les regards que j’ai eus dans ma carrière, de chaque fan, chaque rencontre, chaque voix qui chantent mes paroles, chaque bout d’humanité, dans chaque café concert, chaque fête du village, chaque scène, chaque endroit où j’ai dit ou chanté un texte.
Votre manque de superficialité est-il un frein pour les radios et les télévisions commerciales aseptisées qui ne doivent délivrer aux spectateurs que des messages de bonheur entre deux spots de pub ? En résumé, La Pietà est-elle un poil à gratter dans une société dystopique ?
La Pietà : Je suis pas sûre de manquer de superficialité en fait ! Je manque sûrement de filtres par contre. Mais je suis arrivée à l’âge où je m’en fous. Où je trouve la vie plus belle en vrai que derrière les filtres Instagram. Où je préfère la terrasse d’un café qu’un débat sur Facebook. Et où je jouis d’écrire des chansons avec des collégiens, plus que de rêver de remplir des Zéniths. Préférer kiffer mes concerts dans tous les bleds génialissimes de France, que d’aller raconter de la merde sur une actualité de merde dans des émissions à la TV. Peut être que rien que cela, c’est être un poil à gratter.
La Pietà : On a la place qu’on se donne. A nous de la prendre, la place. On n’est pas des femmes ou des hommes, on est juste des êtres humains. J’ai pas envie de devoir mettre en avant des femmes juste parce que ce sont des femmes. Qu’elles soient traités à égalité, pour talent et travail égal, point.
La Pietà : On est en train de l’enregistrer, il devrait sortir début 2020, en même temps que le roman. Mais avant ça, on sortira des singles, des clips, et on continue pour l’instant de défendre le précédent EP sur les routes avec une tournée tout le printemps.
La Pietà : Oui, je travaille avec Anthony Bellevrat, un de mes meilleurs amis, avec qui je co-compose tout l’album. C’est un fabuleux pianiste, un super guitariste, et un super humain. Je l’aime, et je suis très heureuse de faire cet album avec lui. C’est essentiel dans ce projet, le plaisir, la joie, l’amour. C’est mon seul et unique critère : faire tout cela dans le plaisir.
La Pietà : Programme chargé à vrai dire. D’abord la tournée de printemps pour continuer à présenter l’EP sorti en novembre dernier, « Chapitres 5&6 ». En parallèle, j’enregistre donc l’album. A côté de ça, on va commencer des résidences pour transposer les nouveaux titres en live et préparer le spectacle qui se fera avec l’album, et où il y aura plus de show : lights, décors, un peu de vidéos. Et puis je prépare également la sortie du premier roman... Nous allons aussi faire des projets d’action culturelle : des ateliers d’écriture et de traduction en langue des signes en avril et mai sur Montpellier, des ateliers dans un collège à Nîmes. Et puis je commence à réfléchir, doucement mais sûrement, à mon prochain projet : un spectacle pour enfant.
La Pietà : Merci à vous, et rendez-vous dans les concerts, c’est là où ça se passe vraiment !
Nous remercions :
. Christophe Beaussart pour sa photographie en couleurs de La Pietà
(http://scenesdunord.fr/recherche/_index.php#.XLGmx9jgooA)
. Brice BOURGOIS pour sa photographie en noir et blanc de La Pietà
(https://www.facebook.com/PhotographerLivePictureUnderground/)