JAYPEE - l'interview Version Zéro

Le 23/05/2024

« J'avais un désir d'indépendance sur ces compos, et aussi une envie brute de décoffrage, un reset clair et net en somme, sans fioritures. »

Jaypee vient de la scène Metal, il fit ses premières armes sur la scène poitevine avant de s'exprimer par le blues au travers de plusieurs albums sous le nom de Jaypee-Jaypar ou de JaCOB. Après « Metamorphosis », il revient avec « Version Zéro », un opus chanté, pour la première fois, intégralement en Français. Une nouvelle orientation qui n'a pas manqué de susciter nos questions auxquelles le rocker a bien voulu répondre...
Jaypee jeff sehierJAYPEE par Jeff Sehier
Interview réalisée par mail en mai 2024.


Ahasverus : Bonjour Jaypee. Après « On my way » (2015) « Sinner » (2016) et « Meet Me Again » (2018) de Jaypee-Jaypar, après « Metamorphosis » (2022) de JACOB, tu nous reviens sous le nom de Jaypee pour l'EP  « Version Zéro ». Tu n'as pas peur qu'on se perde en route en changeant de nom à chaque projet ou presque ?
Jaypee :
 Hello ! Et d'abord merci pour l'interview ! Pour répondre à ta question, j'avoue que ça peut porter à confusion oui. Mais n'oublions pas que JaCOB est l'acronyme de « Jaypee And the Cannibal Orgasmic Band », on reste sur un « Jaypee » comme fil conducteur. En tout cas, je souhaite que ce JAYPEE soit mon dernier mot, ferme et définitif ! Il faut préciser aussi que cet EP marque un grand tournant, même un renouveau, mais on y reviendra !
Jaypee jaypar bandJAYPEE avec son line-up de JaCOB de 2022, avec Fred Brousse à l'harmonica, Marie Caparros au Violoncelle, Jean Joly à la basse et Rémi Dulaurier à la batterie. - Photographie Thierry Monchatre-Jacquot
Ahasverus : Ta signature reste fondamentalement la même avec ce mélange d'influences Metal et de blues acoustique...
Jaypee : 
Oui, tu l'as senti aussi, ce mélange s'impose à moi ! j'ai essayé de m'en éloigner mais ça revient au galop ! Le Metal fait partie de ma culture musicale à 100%,  même si ce n'est pas ce qui prédomine dans mes compos, c'est quand même présent.

Ahasverus : Pourquoi as-tu décidé d'autoproduire ce nouvel EP ?
Jaypee :
 La conjoncture y est pour beaucoup ! Les subventions se font rares pour que les labels parient sur un projet émergent malheureusement, c'est d'autant plus vrai depuis que le COVID est passé par là. Cependant, j'avais un désir d'indépendance sur ces compos, et aussi une envie brute de décoffrage, un reset clair et net en somme, sans fioritures, l'autoprod' fait indubitablement partie de cette démarche.

« L'envie de passer au Français s'est faite de plus en plus évidente. »

Ahasverus : Jusqu'à présent tu chantais en Anglais. Comment l'écriture en Français s'est-elle imposée ?
Jaypee : 
J'ai passé le cap, et la décision n'a pas été facile, mais l'envie de passer au Français s'est faite de plus en plus évidente, il fallait surtout oser arrêter de se cacher derrière une langue étrangère pour exprimer ce qui sort de ma tête, c'est pas évident mais le jeu en vaut la chandelle. Je pensais que ce serait plus facile... Non ! Le fait d'écrire en Français demande une exigence beaucoup plus grande, en tous cas en ce qui me concerne. J'ai toujours écrit des choses en français, depuis des années, mais je ne les ai jamais révélées (mis à part « Dansons » sur « Meet me Again »). La plupart de ces écrits ont d'ailleurs fini à la poubelle ! Je suis ravi d'avoir passé ce cap en tout cas, même si je suis conscient que ça peut en déstabiliser certains tout en en attirant d'autres !
Jaypee 2Ahasverus : Ces compositions sont donc nées spécialement pour cet EP où certaines attendaient leur jour dans tes tiroirs ?
Jaypee : 
J'avais des compos dans les tiroirs, mais je me suis vite rendu compte que ça ne collait pas avec le français ! Donc pour répondre à ta question, j'ai composé en pensant « Français », car les diphtongues ne sont pas au même endroit, et ce qui sonne cool en anglais sonne mal en français, et vice-versa. C'est aussi la première fois que j'écris des textes avant de composer des musiques ! C'est un nouveau travail de fond hyper intéressant. 

Ahasverus : Que signifie ce titre, « Version Zéro » ?
Jaypee : 
Version Zéro, ça se recoupe un peu avec ce que je disais avant sur le processus de création, l'écriture en Français, et le désir de partir sur quelque chose de vraiment nouveau. C'est aussi les derniers mots de l'EP sur le morceau « Vivant » : « Erreur système, retour version zéro ». On est donc sur un mode sans échec (du moins je l'espère, ahah !), qui se recoupe aussi avec le choix de l'autoprod. Il y a aussi mon départ de chez BAAM Productions et mon arrivée au Cri du Charbon pour le booking. On parle donc vraiment d'un truc nouveau En tous cas avec cet EP, j'estime repartir à zéro.

« Quitte à avoir des influences, autant prendre les meilleures ! »

Ahasverus : Pour présenter « Version Zéro » tu cites Thiéfaine et Bashung. Que sont-ils pour toi ?
Jaypee : 
Je les cite comme influences en toute humilité. La profondeur des textes de Thiéfaine est abyssale, la mélancolie de Bashung va crescendo, jusqu'à son album posthume « En Amont ». J'adore le côté contemplatif de leur écriture. Et comme tu as pu le remarquer, je n'écris pas non plus des choses très joyeuses ! Je te rassure, tout va bien dans ma vie perso ! Sûrement grâce à l'écriture qui est cathartique à bien des égards. Quitte à avoir des influences, autant prendre les meilleures ! Ajoutons Arno pour le trio gagnant !

Ahasverus : Avec ta voix de basse, j'ai beaucoup pensé à Reuno, pour son travail avec Madame Robert notamment...
Jaypee : 
C'est assez marrant car tu n'es pas le seul à me dire qu'il y a du Reuno dans la voix. Ce n'est pourtant pas conscient, même si j'ai poncé les premiers albums de Lofo en long, en large et en travers étant plus jeune, et même si je les réécoute de temps à autre avec plaisir ! J'avoue moins connaître son projet Madame Robert, mais j'y jetterai une oreille, du coup !

Ahasverus : J'aime particulièrement ton texte sur la colère (« Celle Qui Crie »). Comment l'idée de ce morceau a-t-elle surgi ?
Jaypee :
 Une engueulade avec un pote (même si ça s'est fini bras dessus-bras dessous). J'ai vu avec le recul cette propension à devenir de mauvaise foi et à ne rien lâcher quand la colère monte. Une attitude hautement contre-productive et destructrice, mais avouons-le aussi, tellement libératrice. C'est humain, et je me méfie vraiment des gens qui ne se mettent jamais en colère... c'est louche ! Je sais pas si tu as vu la série « Beef » (« Acharnés », en français), mais ce morceau illustre ça : une queue de poisson qui finit en course poursuite et en grand n'importe quoi. Franchement, qui n'a pas rêvé de faire ça ?

Ahasverus : As-tu un morceau préféré dans ce nouvel opus ?
Jaypee : 
J'ai un faible pour « Vivant », le dernier morceau de l'EP, parce qu'il est assez positif au final. Il y a ce côté d'épouser l'adversité pour avancer, et c'est vraiment l'essence de cet EP. C'est de plus en plus difficile de se faire une place en tant qu'artiste émergent professionnel aujourd'hui : entre les aides financières qui sautent au fur et à mesure pour les organisateurs, les salles subventionnées qui ne font pas leur taf de découverte, la conjoncture, le manque d'argent, la baisse du pouvoir d'achat,... Y'a de quoi grincer des dents. Malgré tout, cette rage me nourrit, et je la transforme en énergie, pour avancer en dehors du rouleau compresseur qu'on peut vite subir. Plus c'est dur, plus ça me donne envie, ce morceau parle de ça. Pour citer Leonard Cohen : Il y a une faille en chaque chose, c'est de là que jaillit la lumière.

Ahasverus : Qu'est-ce que tu aimes dans la scène française en ce moment ?
Jaypee :
Etonnamment, j'écoute beaucoup de rap Bon, c'est pas du rap de jeunots non plus, mais je découvre encore des choses. En ce moment c'est La Gale (qui est Libano-Suisse d'ailleurs) qui tourne en boucle. Cette fille écrit particulièrement bien, et à l'instar de Casey, ça fait vraiment du bien de voir de plus en plus de femmes dans ce milieu qui ont plus de talent et de hargne que la plupart de leurs homologues masculins !
La galeAhasverus : Revenons à ton nouvel EP : qui t'a accompagné sur ce projet ?
Jaypee : 
J'ai bossé avec les mêmes musiciens que sur Metamorphosis, mis à part Fred Brousse (avec qui nous sommes restés très amis cependant) : Marie Caparros au Violoncelle, Jean Joly à la basse et Rémi Dulaurier à la batterie. C'est David Cartier qui a fait l'enregistrement et le mix dans son studio à Saint-Etienne, et Joerg Luedicke qui a fait le mastering au Texas. J'ai bossé également avec une artiste que je connais depuis tout petit, et qui s'appelle Véronique Pestel. C'est une très bonne autrice/compositrice/interprète en chanson française qui a beaucoup partagé la scène avec ma mère (entre autres), qui est aussi chanteuse. On a bossé quelques jours ensemble sur des méthodes d'écriture, mais elle m'a surtout débloqué le truc pour oser écrire en Français. Elle a bien compris mon univers et m'a vraiment encouragé à partager mes paroles, alors un grand merci à elle.

Ahasverus : Quels instruments ont été utilisés sur « Version Zéro » ?
Jaypee :
Deux guitares acoustiques, trois guitares électriques, un violoncelle acoustique, un violoncelle électrique, une basse, une contrebasse, une batterie, et des cordes vocales !

« Je considère repartir à zéro, on peut dire que l'avion représente ça. D'un côté, c'est tout cassé, mais on se démerde. »

Ahasverus : Le son de l'album est gros avec un côté acoustique qui fait bien ressortir les détails. Parles-moi des conditions d'enregistrement, mix, mastering...
Jaypee :
 Déjà l'ambiance était top avec toute l'équipe du début à la fin ! On a commencé par des préprods à l'arrache à la maison pour Marie, Jean et moi. Rémi a envoyé ses parties batteries à partir de son local de repet avec trois pistes. ça nous a permis d'avoir une base carrée, mais dégueulasse ! Heureusement, David a pris le relais ! On a enregistré la batterie sur deux jours avec une guitare témoin, puis j'ai passé deux jours à la maison pour faire les prises guitares. Il y en a un bon paquet ! Deux guitares acoustiques enregistrées deux fois chacune. Pour les deux électriques que j'ai utilisées pour la rythmique, je devais être à huit pistes par guitare plus les solos par dessus ! Autant te dire qu'on avait le choix !
Jean et Marie ont passé une journée chacun pour les parties basse/contrebasse et violoncelle. Marie a utilisé un violoncelle électrique sur les parties rock, où on s'est bien éclatés, j'avoue (avec de la wahwah, de l'octaver, de la whammy, de l'overdrive...) Donc en gros, on a fait la prise de son en une semaine et on a dû faire le mix en autant de temps avec David. On a tous pris du plaisir à bosser ensemble, il n'y a eu aucune ombre au tableau. Pour le mastering, c'est Joerg qui l'a fait à distance au Texas (c'est lui qui avait bossé déjà sur « Metamorphosis »). On a dû s'y reprendre à deux ou trois fois pour avoir la bonne version... Un allemand résidant au texas qui fait le mastering d'un EP en français quoi, mais au final, il a bien capté l'importance de la place de la voix dans le mastering. Je tenais à coeur que les paroles soient le plus intelligibles possible.

Ahasverus : Un mot sur la pochette de Version Zéro, cette carcasse d'avion...
Jaypee :
 Honnêtement, qui dit autoprod dit pas de budget... Donc c'est une photo libre de droits qu'on a retravaillé avec Cyril et Marion du Cri du Charbon. L'idée du crash d'avion au milieu de nulle part encore une fois, ça fait écho à l'explication de « Version Zéro » . Quand je dis qu'avec ce projet, je considère repartir à zéro, on peut dire que l'avion représente ça. D'un côté, c'est tout cassé, mais on se démerde.
Jaypee 1Ahasverus : Que faut-il retenir de ton actualité sur les prochains mois ?
Jaypee : 
On a réussi à enregistrer une captation live avec mon pote réalisateur Zacharie Dangoin sur le morceau « 522 290 démons ». On y retrouve Victor Roux à la guitare, qui n'est pas sur l'EP, ça présente le full band tel qu'il pourra être sur scène, à cinq. Cependant, les concerts à venir à partir de fin août seront en solo. Je reprends cette version live solo avec plaisir d'ailleurs. Comme je le disais, c'est difficile de trouver des lieux ayant un budget pour des groupes émergents, d'autant plus en repartant à zéro ! J'ose espérer que le full band pourra se produire sur de belles scènes à l'avenir, mais pour le moment, ce sera du café/concert en solo ! C'est aussi comme ça qu'on se forge.
J'ai un set d'une heure 100% en français, et je m'éclate avec mon looper, mon pedalboard et ma stompbox. Ce n'est donc pas une formule « au rabais » mais une proposition à part entière. J'ai donc hâte de roder mon set et de partager cette nouvelle version de Jaypee avec le public ! Pour le moment, mes prochaines dates sont le 23/08/2024 à Espirat (L'Imprévu), le 06/09/2024 à Golfesh (Le Capsulum) et le 18/10/2024 à Besançon (Le Bar de l'U).

Ahasverus : Merci Jaypee d'avoir répondu à mes questions.
Jaypee :
 Merci à toi de me les avoir posées !

 

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