Les N'importe-Quoi d'Ahasverus : RAMONES, Rocket To Russia (1977)

Le 15/08/2021

Que faisiez-vous le dimanche 24/02/1980 à 11 heures 15 ?RamonesC'est pas que j'ai une mémoire extraordinaire, mais je suis sûr de pouvoir vous dire ce que je faisais le dimanche 24/02/1980 à 11 heures 15 !
J'étais devant le poste de télévision ! C'était un poste en noir et blanc, un gros poste de l'époque, avec un écran bombé un fond d'une cinquantaine de centimètres pour recevoir ses composants, son tube catholique, et patin couffin...

J'ai un souvenir précis du programme. On était encore vieille France, pas sortis du giron de "Papa", et la messe de midi prenait fin.
A part ma mère, gaulliste convaincue, on s'en foutait un peu à la maison, du Général. Mon frère devait être barré chez ma future belle-soeur ou parti retrouver ses potes. Ma sœur m'emmerdait. Mon beauf allait débarquer pour l'après-midi avec un pâté en croute qu'il avait piqué à la Nivernaise. Bref, chacun vaquait à ses occupations dans son costume d'un dimanche ordinaire.

Moi c'était pas la messe du Petit Bon Dieu que j'attendais les dimanches, c'était celle du rock, de Chorus, avec Antoine Decaunes en curé et Jacky en bedeau. Jacky rejoindrait plus tard Dorothée pour faire rigoler toute la génération de pisseux qui suivrait la mienne.

1980, baignait dans le rock. Trust avait sorti L'Elite l'année précédente, et Téléphone avait craché une grande partie de son venin :
« Je suis parti de chez mes parents / J'en avais marre de faire attention / Je suis resté un vagabond / On ne me mettra pas en prison ».
Nous les mômes, on se reconnaissait dans les slogans, et on écrivait au feutre les noms stylisés des groupes  sur nos musettes militaires, très en vogue au collège.

TelephoneEn 1979 le rock français a le vent en poupe : « Crache Ton Venin », le second album du phénomène Téléphone, ainsi que le premier album éponyme du groupe Trust (aussi appelé L'Élite) envahissent les grandes ondes des radios françaises.

Moi aussi comme Jean-Louis j'en avais marre de faire attention ! Cependant j'avais tout de même la chance 'avoir dans ma classe la sublime Fabienne Ledoux-Chalot, la plus jolie fille du monde. Plutôt que de lui déclarer de vive voix tout l'amour que j'avais pour elle, j'avais choisi de subtiliser sa trousse pour lui écrire de mon encre la plus indélébile « Got To Get You Into My Life », cette phrase des Beatles suffisamment explicite au regard de notre niveau d'Anglais, mais qui ne serait hélas dans notre cas jamais prophétique, rapport qu'elle m'avait préféré ce crâneur de Dominique Montolope.
Elle avait moyennement apprécié, Fabienne, et salement menacé partout que si elle attrapait le crétin avait salopé ses affaires...
Je comptais déjà, alors, quelques concerts. Le premier, ça avait été Queen, dans les gradins, sur la tournée Live Killers. Deux coups de pieds sur les estrades, un coup dans les mains. Ca vous faisait des vibrations jusque dans la poitrine.

QueenLe double album « Queen Live Killers » (1979), enregistré durant la tournée européenne du groupe après « Jazz ». Certains morceaux étaient capturés en France.

Mais revenons au dimanche 24/02/1980 à 11 heures 15...
Le concert de Chorus du  24 février présente un groupe new-yorkais, les Ramones. Le jeu est minimaliste. Ils ont tous la même coupe que mon pote Serge, ils portent des jeans déchirés, des perfectos. Joey bouge comme un grand roseau sous le vent. Ses pieds sont très écartés, cloués au sol. De chaque côté, Dee Dee et Johnny sautent comme des diables, sans jamais se regarder, sans jamais se rapprocher. Derrière les fûts, Marky semble frapper au ralenti alors que son jeu est très rapide. Pas de pause non plus entre les chansons. Dee-Dee lance « 1-2-3-4 », c'est reparti. C'est grave cool !

C'est peu après que mon pote Serge achète son 33 tours de « Rocket To Russia », l'un des deux meilleurs opus du combo new-yorkais. Pochette on ne peut plus simple, à l'image du groupe. Les Ramones portent des jeans troués avec deux décennies d'avance... Moi, la Louise, elle m'aurait thermo-collé des pièces !

Musique basique, rock de surfer un peu speedé - survitaminé en live. Les paroles sont à l'avenant, même si elles véhiculeront parfois, plus tard, des messages. On pense à « Bonzo Goes To Bitburg » où Joey adressait à Reagan honorant les tombes d'anciens SS : « You're a politician / Don't become one of Hitler's children ».

En 1980, il ne me venait pas à l'idée que les ramones faisaient partie de la mouvance punk. Le Punk, c'est les Pistols et presque personne d'autre, c'est No Future, et ça craint.

Pistols« Never Mind The Bollocks, Here's the Sex Pistols » (1977) des Sex Pistols, manifeste punk par excellence.

Ramones, c'est du rock. C'est même le coeur du rock. Et « Rocket To Russia », c'est quatorze morceaux qui se posent pas de question, ni sur le futur, ni sur le reste. On branche et on envoie, 1/2/3/4. C'est simple, c'est efficace.

Faux frères de sang, vrais frères de rue, Johnny et Joey se détestaient au point que le premier n'ira pas à l'enterrement du second. Outre leurs différents politiques (à ma droite Johnny, à ma gauche Joey), Johnny avait piqué la copine à Joey pour en faire sa femme. Joey avait répondu par la chanson « The KKK Took My Baby Away ». Mais il n'avait pas cherché à se venger : « On ne touche pas à un Ramone ! » aurait-il assuré.

Johnny, Dee Dee, Joey, Tommy... Fondateurs des Ramones, tous morts aujourd'hui.

Peut-être que Joey et Johnny se parlent, maintenant, là-haut ? Peut-être qu'ils boivent un coup avec Lemmy, Bon Scott et Ronnie James Dio au Bar du Paradis, encore ouvert à cette heure-ci... Ou à la Taverne de l'Enfer, qui ne ferme jamais, là, tout à côté ?
Ca doit faire un beau bordel, là-haut.

Vous je sais pas, mais moi, je peux écouter le prog' le plus inventif, la guitare la plus virtuose, la voix la plus fantastique... Il y a toujours un moment où je reviens à la sobriété de la musique des Ramones.
Le rock s'est posé là, c'est tout.

« Gabba gabba we accept you / We accept you one of us ! »

 

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