Chronique d'album : FOREIGN (Opéra métal) - The Symphony Of The Wandering Jew - Part II (2020)

Le 30/03/2021

Si vous avez le goût aventurier et attendez d’être surpris par vos trouvailles musicales, ce Foreign est pour vous.


Groupe : Foreign Rock Opera (Ivan Jacquin)
Album : The Symphony Of The Wandering Jew - Part II (2020)
Genre : Metal Opera au casting international
Origine : Besançon

Par Ingrid Denis (Jirfiya, Oscil)


SORT D’UN MAUDIT VOYAGEUR

Petit saut dans le temps : si loin que remonte ma DeLorean, c’est un alias familier, un certain Ahasverus lui-même, qui me mena sur la voie d’Ivan Jacquin. Je découvrais alors son groupe Psychanoïa, et leur excellent album "Unreal Seas". Coup de cœur et curiosité désormais éveillée pour l'œuvre de ce chanteur et compositeur prolifique. C’est donc comme un retour de flamme que je partage ici, dans le cœur d’Ahasverus, le webzine métallique.

PsychanoiaPsychanoïa - Unreal Seas (2017)

Les grands récits commencent souvent par une quête, et il y a quelques mois je participais à celle d’Ivan. A cette époque, je ne connais pas le premier opus de FOREIGN, "The Symphony Of The Wandering Jew", mais je suis conquise par le sujet, le casting (NDLR : voir in fine), sa volonté et son ambition de passionné. J’ai envie de répondre à ses appels à l’aide que partagent des milliers de musiciens, engloutis sous les clics mécaniques de milliers de surfeurs désintéressés. Je sais ce que ça leur coûte !
Et puis un matin de cette fin d’année exsangue, j’ouvre un petit boîtier, à l’ancienne. Ouais, découvrir un disque, un vrai rituel qui se perd inexorablement, mais où tu as un lien tangible avec ta rencontre musicale et le travail qu’il y a derrière. Tu as tes traces de doigts pour le customiser, et le pincement de curiosité quand tu appuies sur play et que tu entends quelques secondes le disque tourner. Et autant vous dire qu’il m’a embarquée d’emblée ce Wandering Jew, et que la symphonie a tourné tout l’hiver. Le voyage musical a du bon quand on est cloué aux frontières.

50843301 2048870578513270 8689117425657970688 oForeign Rock Opera - The Symphony of the Wandering Jew part. I (2014)

Le Juif errant a connu presqu’autant de déclinaisons que de siècles traversés. Ce mythe non officiel de la chrétienté est d’abord un homme qui frappe dans le dos Jésus, alors en pleine Passion, avant que celui-ci ne le maudisse. Condamné ainsi à attendre la Résurrection, l’imaginaire des artistes s’impatiente pour lui et, par esprit un brin vachard, le transforme en marcheur éternel mais usé, un galérien du temps infini.
L’archétype repris par Ivan Jacquin dans sa fresque-opéra, est celui défini par Alexandre Dumas ou encore Jean “Immortel” d’Ormesson, soit un personnage qui traverse les époques et les événements historiques sur plusieurs siècles.

Juif1Alexandre Dumas, Eugène Sue, ou plus récemment Jean D'Ormesson ont popularisé l'histoire du Juif errant.

L’Immortel en témoin de l’Histoire est un thème largement exploré aussi dans la culture Pop. Pensez par exemple à la série TV Code Quantum ou à la saga littéraire et cinématographique du vampire Lestat. Traité avec fantasme pour la reconstitution historique, prétexte à imaginer les tourments engendrés par une prison temporelle, avec cet antagonisme qui fascine : la vie éternelle est-elle une malédiction ou un sort enviable ?

HighlanderHighlander (1986). La vie éternelle est-elle une malédiction ou un sort enviable ?

Ivan Jacquin prend à la fois la plume et le piano pour méditer sur la question. Et un peu à la manière d’un Sam dans Code Quantum, l'Élu malgré lui du divin Ivan glisse d’une célébrité historique à l’autre, et nous croisons dans ce second volume, Omar Khayyam, poète perse, Christophe Colomb, William Shakespeare, et Isaac Laquedem qui retrouve sa place romancée laissée en suspens par Alexandre Dumas.

Ici se manifestent les qualités de conteur et de rockstar d’Ivan. En reflet jumeau de son roman, il façonne un univers musical aux structures et influences éclectiques, et en fait un Opéra Rock ambitieux qui amplifie sa démesure dans ce second opus. Il rappelle certains invités et personnages de Foreign Part.I, et allonge encore la liste des pointures: Leo Margarit, Amanda Lehmann, Zak Stevens, Andy Kuntz, pour ne citer qu’eux, s’offrant encore au passage le plaisir avoué de chanter à leurs côtés.

Ce qui frappe si l'on compare au premier, c’est que le son de ce Foreign Part. II gagne en amplitude, révélant toutes ses richesses orchestrales. Composée de dix chansons épiques et de trois instrumentaux, l’histoire de ce maudit voyageur évoque ses tourments spirituels, mais aussi l’amour, et la puissance universelle de l’art pour transcender l’Humanité.

L’album reprend la même tonalité orientale que sur le morceau d’introduction du PART. I (Ahasverus) pour son ouverture, ici à YERUSHALAÏM. Donnez-moi quelques notes de duduk et je me crois toujours dans "Le Prince d’Égypte" ! (NDLR : long métrage d'animation américain réalisé par les studios DreamWorks en 1998)
Le berceau religieux est toujours convoité dangereusement. L’ambiance éthérée devient soudainement plus martiale, et nous passons de l'horizon flou du désert à une armée qui se lève, dressée par Salâh-ad-dîn (incarné par un Zak Stevens massif) qui veut reprendre Jérusalem aux Templiers. C’est une guerre sainte qui s’amorce, la Main de Dieu est invoquée par Saladin qui touche au but… et le morceau finit comme en fumée échappée des ruines et la désolation.
On retrouve avec enthousiasme le Jésus enragé incarné par Thierry Marquez, le narrateur Arr-Brionn avec la voix de Stephane Van De Cappelle, et la voix émouvante de Marie (Marie Desdémone Xolin).

Dans RISE 1187, Saladin tente de convaincre Omar de se joindre à sa conquête, son divin massacre. Dilemme porté par deux voix masculines (Ivan Jacquin et Zak Stevens) bien rock, ancrées. Ce second morceau est une claque progressive : d’une intro métal lourde et guerrière au solo de violon presque Lockwoodien, on assiste en milieu de piste à un emballement folk rock celtique totalement inattendu, qui vous fait instantanément vous lever de votre chaise pour taper du pied et entrer dans la taverne avant le grand voyage.

MARINER OF ALL SEAS
Le tourbillon de la fête fait place à la berceuse amoureuse, dans une continuité rythmique et cordes folk ralentie par les flots. Aux craquements du bois, nous imaginons Isaac et Finna sur la proue d’un navire, sous les étoiles, rois d’un nouveau monde qui les attend et qui pourtant va les séparer.

C’est un duo magique entre la guerrière Viking et le voyageur du Temps, dont les voix s’enlacent à l’approche d’une terre à conquérir ensemble, et chantent leurs adieux dans un dernier refrain culminant avec des violons denses. Les harmonies fines, la voix enchanteresse d’Amanda Lehmann et celle chaude et profonde d’Ivan résonnent encore longtemps après écoute. Un de mes titres favoris de cet album !

HOLY LANDS
Deux par Dieu. Cette fois, Ivan assure lead et chœur dans les habits de Christophe Colomb.
Nous faisons toujours route vers un Nouveau Monde. L’illustre découvreur sera-t-il le destructeur, lui aussi au nom d’un Dieu décidément bien assoiffé de conquête ? Un brin idéaliste autant que fataliste, il n’imagine pas une colonisation pacifique et fraternelle...
Dès l’intro, un souffle aventurier traverse la chanson, porté par des cordes andalouses et des orchestrations de cuivres massives.
Conquérante mais douce, la mélodie est magnifiée par des arpèges de harpe. Cristoforo craint ses propres actes avant qu’Arr Brionn ne nous rappelle à la vérité de l’Histoire.

ETERNITY PART III
La Ritournelle du temps est de retour, l'orgue de barbarie se mêle aux bruits de la jungle, puis à un hurdy gurdy torturé.

RUNNING TIMES
Manoir hanté, sensations fortes garanties ! Arr Brionn confie sa lassitude de marcher, le violon se tord de fatigue, et nous voilà propulsés via un portail temporel, dans un manoir où le trio composé du propriétaire François 1er, de Nostradamus et de Mona Lisa, est pris dans les affres de la sorcellerie et du spiritisme. Les miroirs semblent rendre fous, ou est-ce l’image et la voix de Mona Lisa, coincée entre deux mondes ?
La course musicale effrénée se mue en valse Metal Symphonique avant de reprendre plus metal encore. Emmanuel Levy et Tom S Englund offrent une large palette et leurs timbres se complètent à merveille, tandis que les voix féminines sont encore des fils d'Ariane lumineux dans ce labyrinthe mental.
Nous refermons le portail sur Nostradamus, maître des prophéties, et ses murmures solitaires façon Gollum.

THE FOUNTAIN
Dans le jardin Renaissance, des rires d’enfants éclatent au milieu du bruissement de l’eau.
Instrumental de 3mn, où les violons et le piano dansent avec la voix de Mona Lisa/Emma Elvaston.
L’intermède bucolique fait du bien, car nous allons assister à un triptyque symphonique aux salves gorgées de personnages, dont l’obsession et l’ambition (ou la malédiction...) est de laisser une trace dans l’Histoire.

MYSTERIES TO COME
Da Ivanci Codes. Belle idée que de mettre en relation ces deux personnages ésotériques de la Renaissance, dont les secrets fascinent encore les foules. Pas besoin de boule de cristal, Nostradamus est génétiquement visionnaire et c’est là sa malédiction, tandis que le sourire énigmatique de Mona Lisa cache bien des mystères.
Moins emballant au premier abord, le morceau décolle et vrille sévèrement à 3mn30 pour une partie instrumentale bien barrée, maîtrisée par le boss Leo Margarit, David Humbert, Mike Lepond et Ivan Jacquin.

SECRETS OF ART
La marque immédiate de ce morceau c’est ce riff Funky rock excitant, qui aspire la voix d’Arr Brionn dès le début, comme dans l'œil du cyclone.
Shakespeare inspire à Ivan une interprétation plus intense et torturée, tandis qu’il entend ses futurs personnages lui confier leurs histoires dont il fera son œuvre. Est-il un imposteur, lui a-t-on soufflé ses histoires ? D’où vient l’étincelle du génie ? Ces Secrets de l’art sont comme une mise en abyme du processus créatif, de la genèse de cette Symphony et tant d’autres œuvres.
Les arrangements sont bien groovy au début, avant un long intermède aux claviers cristallins où se succèdent une “Mad Queen” Lady Jane (Jeannick Valleur), Marie, Ahasver et le dramaturge anglais, révélant la question la plus célèbre du monde : To be or not to be ?
La basse nerveuse relance l’ensemble avec le riff funky qui va nous faire glisser au prochain morceau et son héros : Mozart.

SYMPHONIC CARESS
Un titre trompeur : c’est maintenant la folie créatrice de Mozart (héroïque Andy Kuntz) qui s’exprime, après une intro matador, prête à en découdre avec son égo. Le morceau est riche en ruptures inattendues, alternant agressivité et séquences romantiques, valse et menuet se fondant avec élégance entre les guitares métalliques.
Une avalanche symphonique donc, au parfum psychédélique, avec en apothéose un dernier refrain haut perché d’Andy Kunz, et un orchestre et chœur qui donnent ses belles notes de noblesse à un Opéra Rock. Le sommet de l’album, un vrai trip de composition !

ETERNITY PART IV
La roue du temps se traîne encore, telle Sisyphe, avant de se parer d’un swing jazzy/folk du plus bel effet sous les baguettes de Leo “POA” Margarit.

REVOLUTIONS
Le morceau démarre comme aux aguets, avec un chant manquant un peu de relief, avant un couplet rap rock de Jésus explosif ! Cœurs sur Thierry Marquez. Mélodiquement un peu en dessous au début, l’entrée tout en douceur d’un nouveau personnage féminin, Pauline Borghèse, incarnée par la voix sensuelle de Fanny Deroy, en fait un sommet d’émotion et de grâce. En rupture au milieu du tumulte, sa voix se mêle au piano puis aux autres voix féminines de l’album pour une envolée de chorale splendide.
La fin est encore une fois épique avec basse et guitare soutenant le flow agressif de Jésus et les chœurs qui montent en intensité : LIE !

WITNESS OF CHANGES
Dans cet ultime morceau, apaisé, on plane au-dessus des cendres, et le timbre délicat de Fanny Deroy résonne au milieu des nappes de synthé, rappelant The Gathering. Ivan livre une belle performance de sa voix plaintive.
Isaac Laquedem, coquin jamais tout à fait perdu finalement, s’invite dans le lit de Pauline Borghèse, sœur de Napoléon Bonaparte, et veuve pas dupe. Elle lui montrera les vertus de la modernité, en ces temps changeants… Et il lui promet de toujours veiller sur elle, mais dans ces couloirs du Temps maudits et incertains, pourra-t-il honorer cette promesse ?
Marie-Madeleine observe : “All these centuries of knowledge changed you as a better man”, le Foreign Part.III nous le démontrera ou non, l’Histoire n’est pas finie...
Flûte traversière et solo de guitare nous embarquent une dernière fois, avant un dernier coup de canon en guise de cliffhanger.
Foreign 2 artworkForeign - The Symphony of the Wandering Jew, Pt. II

Il faut se donner du temps pour s'immerger et explorer tous les détails d'un album si foisonnant. Si vous avez le goût aventurier et attendez d’être surpris par vos trouvailles musicales, ce Foreign est pour vous. Toujours pas fatiguée du voyage, je laisse volontairement les références pointues au Rock Heavy et Prog aux plus connaisseurs, et pour ma part je place ce “Foreign Rock Opera” aux côtés d’un “Jesus Christ Superstar” version John Farnham ou Alice Cooper, pour la réflexion spirituelle au son Glam Rock, et l’audacieux “Hamilton” qui a cassé Broadway et l’Histoire américaine avec son flow ravageur et son sens de la revisite. Soit un sommet d’émotions mélodiques, d’envie de reprendre les chansons tout en admirant leur complexité, et qui peut s’adresser à la fois à un large public en régalant les plus exigeants.
On ne peut que souhaiter un troisième opus à la hauteur de l’ambition déjà incroyablement déployée, et dans les rêves les plus fous, une adaptation scénique (ou filmique) de cette comédie musicale.
Cher Ivan, on te souhaite Broadway au Hellfest !


LINE-UP FOREIGN - THE SYMPHONY OF THE WANDERING JEW PART. II

  • Chant : Amanda Lehmann (Steve Hacket Band / Finna), Andy Kuntz (Vanden Plas / Mozart), Zak Stevens (Circle II Circle, Savatage, , Trans-Siberian Orchestra / Salâh-ad-Dîn), Tom S. Englund (Evergrey / Nostradamus), Florian Pothiat (Ahasver), Stéphane Van De Capelle (Ar’Brionn), Thierry Marquez (Born Again / Jesus-Christ), Jeannick Valleur (Lady Jane), Marie Desdemone Xolin (Marie-Madeleine), Emma Elvaston (Mona Lisa), Emmanuel Levy (François 1er), Fanny Deroy (Pauline Borghese).
  • Choeur The Sirens Of Time : Raphaël Favereaux, Patrice Duchêne, Benoit Hadengue, Florian Pothiat, Estelle Janod, Jeannick Valleur, Alexandra Poinsot, Florence Brusseaux.
  • Batterie : Thierry Charlet, Henri-Pierre Prudent, Leo Margarit (Pain Of Salvation) 
  • Basse : Jean-Philippe Ciman, Jean-Baptiste Chalmandrier, Mike Lepond (Silent Assassins, Symphony X)
  • Guitares : Olivier Gaudet, Patrice Culot, David Humbert, Camille Borrelly, Amanda Lehmann
  • Harpe : Christine Bulle 
  • Hammered dulcimer : Olivier Goyet 
  • Flûtes : Laurence Conort 
  • Violoncelle : Sonia Duval 
  • Violon : Mathilde Armansin, Didier Gris 
  • Hautbois : Rachel Ruaux 
  • Hurdy-Gurdy : Gregory Jolivet.
  • Mixage et mastering : Markus Teske  (U.D.O., Mob Rules, Vanden Plas).

Ingrid Denis est chanteuse. Elle a sorti avec Jirfiya l'album "Still Waiting" le 25/11/2020. Elle prépare un nouvel opus avec OSCIL.

Jirfiya 1

 

OPERA METAL