BAD TRIPES, La Vie La Pute (23/01/2023)

Le 30/01/2023

BAD TRIPES a toujours cette capacité de vous faire jumper sur le caniveau à l'évocation des destins les plus tragiques.

Un peu plus de cinq ans après l'horrifique « Les Contes de la Tripe », album qui fait date dans le shock-rock français, Bad Tripes revient avec un line-up modifié pour moitié.
Exit Kami (basse), partie fonder Cernunnos, Exit Siger (batterie). Ils laissent la basse à Sir Mac Bass et la batterie à Frame (remplacé désormais par José Jordisson) qui rejoignent sur cet album les fondateurs et principaux songwriters de la formation marseillaise : Seth (guitare) et Hikiko Mori (chant).
En trois albums commis entre 2010 et 2017, Bad Tripes aura imposé à la scène française son empreinte et son exceptionnelle  frontwoman, la bouillonnante, débordante et gouailleuse Hikiko Mori, mi-Arletty, mi-Catherine Ringer, véritable tornade scénique.
Bad tripes trilogie
Son empreinte plutôt que son style, dis-je.
Car le nouvel album, sans abandonner tout à fait le grand cirque qui abritait le précédent opus, marque une rupture sur quelques points.
La cover, d'abord. Car « La Vie La Pute », titre de ce quatrième long format, ne propose pas cette fois de variation autour de sa fantasque et photogénique frontwoman. Seth (guitare), assisté de l'infographiste Thierry Caucino qui s’est occupé du packaging, a travaillé l'artwork (quel talent !) en privilégiant une approche bande-dessinée et en illustrant chaque chanson d'un dessin inséré au livret.
Sur cette pochette, une jeune femme est assise, pour le moins insouciante, rêveuse, musique dans les oreilles, son espérance de vie réduite à quelques secondes. La vie la pute ne fait pas de cadeaux...
Bad tripes cover
Rupture visuelle toujours : Bad Tripes s'était illustré au travers d'une clipographie horrifique composée de véritables mini-métrages : « La Bouchère de Hanovre », « F*** Me Freddy », « Hansel ». Cette fois-ci il a choisi de lancer son album par une approche burlesque avec « La Madrague des Macchabées ».

C'est cette piste sautillante ouvre l'album, dynamique et festive.On retrouvera l'association plage et idées morbides sur un rythme cabaret-jazz avec « Jusqu'à La Lie ».
Rupture sonore enfin pour cette piste qui donne son nom à l'album : « La Vie La Pute ». Bad Tripes s'essaie au hip-hop mâtiné de quelques gros riffs. L'incartade sonne bien et Hikiko Mori est à son aise. Nous sommes curieux de savoir comment cette chanson sera perçue sur scène (Une indiscrétion nous assure que les nouveaux morceaux passent très bien en live).
Bad tripes la vie la pu te
Si nous prenons acte avec ce quatrième album de la naissance d'une nouvelle ère, Bad Tripes n'en renonce pas pour autant à ce qui a forgé son identité.
Ainsi après « Les Griffes de la nuit » (« F*** Me Freddy ») ou « Elephant Man » (« Dame Elephant  »), le cinéma reste-t-il — et peut-être plus que jamais — une référence omniprésente dans l'univers des Marseillais : on le retrouve dans la « Madrague », dont le titre et les paroles pastichent Bardot (« Sur la plage ensanglantée / Coquillages et macchabées »). On l'entend dans « Les Yeux Sans Visage », agressif, puissant et scénique, inspiré du film de Georges Franju, ou dans « Apocalypse Now » — cependant que ce morceau est sans relation avec le succès de Coppola puisqu'il porte un regard désabusé sur la crise sanitaire que nous venons de traverser : « Moi qui rêvais d'incendies, d'un déluge lors d'une éclipse / Comme elle est triste, l'apocalypse ! »
Cinéma encore avec cette station de métro baptisée « Pignon », sur la pochette de l'album, référence avouée au personnage récurent des comédies de Francis Veber (« L'Emmerdeur », « Les Fugitifs », « Le Dîner de Cons »).
Cinéma enfin avec le clin d'oeil à « L'Aventure C'est L'Aventure » qui clôt le tournage de « La Madrague des Macchabées ».
Et si Bad Tripes avait fait là son album le plus cinématographique ?
De même les annales (je ne suis pas sûr quant au choix du terme...) criminelles retrouvent-elles leur place dans l'inspiration d'Hikiko Mori. Après l'affaire du Dahlia Noir et celle de Fritz Haarmann évoquées dans « Les Contes de la Tripe » (« Elizabeth », « La Bouchère de Hanovre »), c'est au tour du tueur de vieilles dames Thierry Paulin d'ensanglanter nos sillons avec « Schlass et Paillettes » : «  Mes rêves de prince et de palaces / Valent bien plus que vos carcasses » estime le lugubre personnage.
Autre constante dans le mélange des guitares bien grosses (« Brûle-Moi Si Tu Peux »), et des samples. Il perpétue le passé des Marseillais.
Constante enfin l'acuité d'Hikiko Mori et sa culture de l'underground qui met en lumière ceux qu'on n'avait pas regardés : ici « Supermasochiste » rend hommage à Bob Flanagan, artiste américain dont l'art était contraint par la maladie ; là  « Afro Girl » évoque la rappeuse féministe Zelda Weinen, de son vrai nom  Maïa Izzo-Foulquier, artiste pluri-disciplinaire et activiste marseillaise , disparue en 2019 à l'âge de vingt-sept ans.
« La Vie La Pute » se termine par « Valya », conte musical tragique d'inspiration russe. La musique festive camoufle la gravité des textes comme un fond de teint sur les bleus  : « Tes yeux couleur glaçon fermés sous l'poids des coups / Je suis le roi des cons ; je ne sens plus ton pouls ».
Capable de se renouveler, Bad Tripes présente avec « La Vie La Pute » un album de transition sans dévier fondamentalement de son axe. Il apporte des  éléments inédits et marque ainsi une distance avec ses prédécesseurs. Il n'en oublie pas pour autant sa caractéristique fondamentale :  cette capacité à vous faire jumper sur le caniveau à l'évocation des destins les plus tragiques. Un véritable tour de force.

Tracklist :
01. La Madrague des Macchabées
02. Les Yeux Sans Visage
03. La Vie la Pute
04. Schlass et Paillettes
05. Afro Girl
06. Brûle-moi si tu Peux
07. Apocalypse Now
08. Jusqu'à la Lie
09. Supermasochiste
10. La Cadavéreuse
11. Valya
Durée totale : 43:53

Line-Up :

  • Hikiko Mori : chant
  • Seth : guitare
  • Sir Mac Bass : basse
  • Frame : batterie

Le lien :

Pour aller plus loin nous vous recommandons cette interview de Seth et Hikiko Mori sur VerdamMnis Magazine.

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